Préface de la Magie dans l’Agriculture.




Voyant qu’elle coupait son rôti en deux avant de le mettre au four, une petite fille demanda à sa mère pourquoi elle faisait cela.
La maman lui répondit qu’elle l’avait toujours vu faire à sa propre mère, que c’est pour cela qu’elle faisait de même et qu’elle pensait que c’était pour que le rôti cuise mieux.
Puis elle invita sa fille à aller questionner sa grand mère toujours vivante.
A la question de sa petite fille, cette dernière expliqua qu’elle avait depuis toujours vu sa mère pratiquer ainsi et qu’elle pensait que c’était pour faire plus joli.
Puis la grand-mère incita sa petite fille à aller poser la question à l’aïeule toujours vivante. A la question de son arrière petite fille sur la mystérieuse coupe du rôti qui se pratiquait dans la famille depuis trois générations déjà, l’arrière grand-mère eut cette réponse étonnante.
Si je faisais cela répondit-elle c’est qu’à l’époque mon four était si exigu que le rôti n’entrait pas en entier et que j’étais obligé de le couper pour pouvoir le faire cuire.

         Voilà comment une pratique finit par perdre son sens premier, comment peuvent se transformer les raisons qui justifient les actes des hommes.
Cette anecdote est instructive à bien des égards et illustre les fondements de La Magie dans l’Agriculture que met en évidence Pierre Gordon dans cette étude magistrale.
Jamais un auteur n’avait exposé de façon plus claire les origines lointaines des rites agraires. Il démontre ici le peu de crédit que l’on doit continuer d’accorder aux explications de ceux qui ne voient que magie, superstitions et rites de fécondité ou de fertilité dans ces pratiques.
Il les éclaire de façon éclatante en relevant tous les liens passés jusqu’ici inaperçus entre ces rites agraires et le grand rite de mort et de résurrection qui depuis l’origine de l’humanité n’a cessé de véhiculer le message de la Tradition Primordiale.
A travers des références et des exemples pris au folklore, aux plus anciens rites de l’humanité comme aux mythologies de tous les pays P. Gordon en étayant sa thèse confirme au passage, mais sans que cela soit le but de son propos, toute la profondeur de la Langue des Oiseaux en illustrant  que la magie c’est quand « l’âme agit ».
L’ensemble de son œuvre s’appuie sur des auteurs comme Eliade, Frazer, Dumezil, etc., il en extrait et y met en exergue la notion de mana, partagée universellement par tous les peuples de la terre sous des noms divers.
Il nous plonge aux racines mêmes de la compréhension de cette énergie dynamique, source de toute manifestation et paradis perdu auquel l’homme tache de se reconnecter depuis la nuit des temps.
Tout son ouvrage, comme l’ensemble de son œuvre d’ailleurs ne cesse de mettre en évidence que les mêmes faits sont entendus différemment en fonction des points de vue que l’évolution de la pensée humaine est capable de poser sur eux.
Il réussit le tour de force de faire ressortir ce qui est essentiel et qui continue de transparaître dans les coutumes agraires dont la source se trouve dans l’Initiatisme humain.
Sans le dire il explique et justifie dans ce travail pourquoi aujourd’hui encore les futurs initiés sont qualifiés de néophytes qui ne signifie pas autre chose que nouvelle graine.
C’est bien du plus profond sacré que sont issus les rites agraires que les ethnologues continuent encore de qualifier de rites magiques sans que pour autant ils n’en expliquent les sources.
Notre petite anecdote introductive montre comment dans un exemple profane le sens des actes premiers se perd, comment son interprétation diffère et surtout pourquoi ces sont des réalités sociologiques que fécondent les croyance héritées d’une lointaine préhistoire qui justifient toujours les pratiques des rites.
Une chose est certaine, c’est que plus jamais le lecteur de La Magie dans l’Agriculture ne pourra accepter les thèses Naturistes encore en cours, comme explication des rites agraires.
Bien plus, tous ceux et celles qui cherchent dans le sens de la tradition primordiale, trouveront là matière à étayer une source unique à l’initiation humaine.
Ce livre nous fait découvrir non seulement les explications des coutumes et folklore agricoles mais aussi l’origine de nombreuses toponymies et d’étymologies que seule la thèse de P. Gordon éclaire.
Cet auteur prolifique à poursuivi toute sa vie l’écriture d’un seul et unique ouvrage qui s’il nous était connu dans son intégralité ne comporterait pas moins d’une cinquantaine de volumes.
Des quelques vingt cinq titres qui sont à ce jour parvenus, il ressort une extraordinaire unité. Souvent un autre ouvrage est né tout simplement du développement d’un chapitre ou d’une idée d’un livre antérieur. Tous les liens qu’il établit montrent la fabuleuse unité des traditions humaines, attestent d’une unique source.
L’œuvre de P. Gordon apporte des preuves irréfutables de ce que fût la tradition primordiale dont la puissance et la profondeur se retrouvent encore de nos jours dans les contes, les coutumes ou le folklore.
Toute autre approche des rites agricoles paraîtra superficielle et fade après cette étude de P. Gordon et nous gageons que nombre de fervents de la tradition que sont les initiés contemporains, trouveront dans cette nouvelle publication matière à expliquer ce que leur propre école laisse souvent dans l’ombre bien plus par oubli de ses sources que par désir de secret.
D’une érudition sans faille la Magie dans l’Agriculture est de nature à mettre un terme définitif aux nombreuses spéculations qui faisaient de nos ancêtres des primitifs aux mentalités enfantines.
Loin de cette vision réductrice mais satisfaisante pour nos ego modernes, P. Gordon démontre au contraire la grandeur de nos ancêtres et la puissance spirituelle et mentale dont ils ont imprégné l’humanité jusqu’à nos jours.
Cet auteur est une véritable lumière dans les ténèbres. Rien ou presque ne semble résister à la puissance unificatrice de son esprit qui paraît être capable d’embrasser dans son entier l’histoire religieuse de l’humanité.
On comprend à le lire pourquoi l’antiquité connut des rois laboureurs, la profondeur des cultes phalliques, comment la terre fut assimilée à la Mère Divine.
Même notre humour moderne profane y trouve des lueurs inattendues.
Tout le monde à en effet un jour ou l’autre entendu cette devinette :
         Que fait un paysan quand il rentre le soir chez lui et qu’il a labouré tout le jour, et qu’il retrouve sa femme ?
         Hé bien il continue de labourer !
Ce jeu de mot salace, peu élégant et à la grivoiserie douteuse laisse encore découvrir une Mère Divine derrière toute épouse de laboureur, un Roi Laboureur derrière chaque paysan et un couple sacré à l’image de l’androgyne divin, dans tout couple de cultivateurs.
A voir combien est encore marqué par sa source initiatique, même notre humour profane de bas étage qui concerne le monde agricole, on saisit à quel degré fut éminente la puissance des rites initiatiques qui forgèrent tous les rituels de la vie sociales des hommes.

Ange Duino